Dès le mois d’août nous avions parlé de cette sortie dans la Taupe. Jean-Louis avait motivé les troupes, avec force arguments pour réaliser cette exploration. Mais finalement nous ne sommes que trois à prendre la route en direction des Pyrénées.
Samedi matin, le temps est beau, les conditions sont presque idéales : un suivi journalier de la météo a montré des précipitations limitées dans la semaine. En montant dans les alpages, Jean-Louis, Fabrice et moi faisons le point sur le matériel que nous avons dans nos sacs. Chacun se demande s’il n’a pas oublié quelque chose d’important qui pourrait compromettre la sortie.
« J’ai pas oublié ma sous-combin ? »
« J’ai bien pris le phare ? »
« Est-ce qu’on a des petites cuillères ? »
« T’as bien pris la trousse à spits ? ».
Finalement Fabrice n’a pas son baudrier de torse, une sangle fera l’affaire et la petite cuillère, puisqu’il n’y en a apparemment qu’une seule, a disparu dans le fatras du matériel.
Qu’importe, la motivation est là et nous pénétrons dans la Taupe, concentrés et avides d’en découdre. Nous n’allons pas être déçus…
La première partie de la cavité est étonnamment sèche, nous enchaînons les puits. Il n’y a guère que le petit filet d’eau habituel qui traverse la galerie des Oubliettes. Arrive le premier obstacle sérieux à -280 : le redoutable Popoc. Tout ce qui dépasse de mon baudrier se retrouve dans mon kit, je progresse dans le méandre étroit, le torse contraint entre les deux parois. Fabrice qui a deux kits à gérer, un devant et un derrière, et ne peut tourner ni les pieds, ni le corps, ni la tête, a plus de difficultés mais s’en sort sans faiblir. Les deux ressauts qui suivent, équipés de cordes à nœuds, se passent sans encombre.
Nous nous retrouvons dans la pénible série d’étroitures montantes et descendantes où il faut prendre son temps pour chercher les passages qui permettent de déboucher enfin dans le puits des Coquillages.
Fabrice et moi commençons la topo à partir de la tête du P120. Nous descendons tranquillement de 30m et accédons à une lucarne par une vire installée par Jean-Louis lors des sorties précédentes. Elle donne dans un court méandre glaiseux qui descend par paliers.
Le nouveau grand puits s’ouvre devant nous.
Nos cris se prolongent en un écho incroyable pendant plusieurs secondes. Jean-Louis poursuit la descente, sa minuscule lampe m’apparaît 75m plus bas. Un coup de laser vers le haut m’annonce que le puits continue 45m au-dessus de ma tête. Déjà 120m de verticale !
Je descends un premier tronçon d’une quinzaine de mètres puis entame un deuxième de 60m plein gaz qui file directement vers le bas. La paroi d’en face, à 40 m, est à peine visible et le puits s’évase de plus en plus. Géant.
Cependant un phénomène inquiétant gâche mon plaisir : des craquements bizarres se produisent lorsque la corde passe dans le descendeur. Je ralentis l’allure et je me mets à cogiter.
« Est ce la corde qui avance par à-coups à cause de l’argile ? »
« Est ce la gaine vitrifiée qui craque en frottant sur les poulies ? »
« Ou pire des ruptures de fibres dans l’âme de la corde ! »
Nous arrivons à un palier de quelques mètres de large où nous faisons le point. Mes acolytes ont fait le même constat sur ces bruits inquiétants. Heureusement nous arrivons au bout de cette corde douteuse qui date seulement de 2009 (c’est à dire presque neuve…), une nouvelle va prendre la suite. Jean-Louis s’attèle à l’équipement pendant que nous poursuivons la topo au Disto.
Balancer des pavés dans le noir qui s’ouvre devant le palier nous permet de sonder ce qui reste à descendre. Nous conjecturons une hauteur de 30 m à 40m.
La descente se poursuit en passant plusieurs fractionnements qui évitent un bombement de la paroi. Ca frotte un peu mais rien de méchant.
Entre deux visées topo, je branche le phare pour pouvoir distinguer les détails lointains. En face on aperçoit une lucarne inaccessible qui s’ouvre à au moins 20 m du fond. Pendant la pose du dernier fractionnement j’éclaire un passage dans une fente du puits. Le faisceau de mon phare s’arrête net sur une poupée de corde bien lovée, suspendue dans le vide au-dessus de nous. J’alerte mes camarades qui comprennent immédiatement la réalité de la situation : nous avons bouclé sur une partie déjà découverte. Mais laquelle ?
La descente des vingt mètres restant répond à notre question : nous sommes au pied du puits du Kit en bas de la salle des Liaminaks. Encore un mauvais tour des lutins des Arbailles !
Nous sommes évidemment déçus.
Nous mangeons sans conviction notre étrange salade colorée avec nos doigts huileux puisque la petite cuillère a disparu. Puis Fabrice nous prépare une soupe chaude vert pomme, pour le goût j’hésite entre la poire et le chou, pour la consistante entre le lait caillé et le yaourt liquide. Mais on finit par s’habituer aux bizarreries des collations souterraines.
Il est presque minuit. Un petit tour dans la salle où je manque de m’étaler dans l’éboulis instable avec l’appareil photo et nous nous engageons pour la remontée laborieuse des 450 m.
Par bonheur, nous avons récupéré la corde de 120 m enkitée en haut du puits des Coquillages, ce qui permet à Jean-Louis de l’installer en remplacement de la corde suspecte qui, attention, est aussi restée en place.
Le passage des étroitures post Popoc se révèle encore plus long et pénible qu’à l’aller surtout avec quatre kits. Je vous passe les jurons.
Un sortie à six heures trente dans la nuit brumeuse nous permet d’être juste à l’heure pour faire l’ouverture de la boulangerie de Tardets et acheter une baguette et des croissants plus que mérités.
Bilan : une sortie de 16 h, un nouveau puits de 115m, une topographie de 185m et un résultat quand à la hauteur de la Cathédrale des Liaminaks : 160 m !
J’allais oublier : en déballant le matériel nous avons retrouvé la petite cuillère voyageuse au fond d’un des bidons !