Semaine de pause dans monde à la dérive où les règles élémentaires de respect des peuples semblent se dissoudre. Nous revoici, isolés du tumulte nauséaubond, au cayolar Lucugne.
Recherche d’une suite
Arrivés en pole position avec Olivier, notre première descente se déroule dans le SO104. Il n’a pour l’instant comme nom qu’un numéro sans prétention.
La précédente séance automnale dans ce gouffre avait permis d’élargir la dernière longue et pénible étroiture du méandre fossile à -80 m. Facilitant la progression jusqu’au fond. Soit-disant.
Olivier, parti devant, disparait de ma vue après le dernier « aménagement » : le passage de l’escalier, shunt de l’étroiture. Je progresse dans la partie inférieure d’un méandre fossile. A quatre pattes, en rampant puis debout. Au sol, un ancien remplissage, sec, sableux et presque accueillant. Pour un spéléo. Je finis pourtant par me coincer avec mon kit au bout de cette galerie devenue assez haute mais peu large. Je peste. J’ai dû rater un passage quelque part.
J’entends Olivier cinq ou six mètres en dessous de moi. Bizarre.
Moi : « Olivier ! C’est où le passage ? »
Olivier : « Suis le fil électrique ! »
Moi : « ? »
Demi-tour.
Je trouve un fil qui disparait dans un long laminoir en pente de 40 cm de hauteur. Peu inspirant ce goulet. Je croyais que toutes les étroitures avaient disparues…
Pas le choix. Pieds devant, dos au sol, kit entre les jambes. Malgré mes inquiétudes ça passe, en frottant mais ça passe. Heureusement le sol est sablonneux, la descente s’en trouve facilitée.
J’arrive en bas du laminoir. Sa partie inférieure est en fait un plancher stalagmitique peu épais formant une voûte. En dessous l’actif a creusé un passage d’une cinquantaine de centimètres de hauteur. Je retrouve Olivier quelques mètres plus loin dans une petite salle basse.
Les précédents explorateurs avaient laissé un commentaire sur la partie terminale de la cavité : « Terminus sur méandre obstrué par une coulée de calcite. Continuation évidente derrière ».
Enigmatique commentaire sans précisions supplémentaires.
Nous sommes au fond donc sûrement devant ladite coulée. Elle est pourrie. Mélange inconsistant de calcite et de mondmilch. Olivier, qui est déjà venu ici, n’est pas confiant sur une suite potentielle de la cavité. Traces d’argile en paroi attestant de mises en charge, pas de courant d’air. Ça sent la fin…Nous agrandissons facilement le passage entre les concrétions. Je passe la tête et le buste dans l’ouverture. Derrière une petite salle fermée qui me ferait faire demi-tour si j’allais plus loin. Olivier voit la lumière de mon éclairage par une ouverture située quelques mètres en arrière. Effectivement l’exploration semble se terminer ici. Mais aujourd’hui il pleut ! Habituellement le spéléo ne s’en réjouit pas car sous terre l’eau est la cause de désagréments, d’incidents, et parfois malheureusement d’accidents. Mais ici l’eau coule gaiement dans la partie basse du méandre. Elle disparait dans un petit trou, sous et derrière un ensemble de vieilles concrétions dégradées. La tête à ras de l’eau j’y jette un « Hé-ho ! » retentissant. Un écho incontestable me revient du fond. Nous avons le triptyque espéré : écoulement – écho - courant d’air. La suite est là !
Commence alors l’élargissement qui nous permettra, on en est sûr, de prolonger cette cavité. Rapidement la fin de la séance arrive. Fixée dès le départ à 17h30, pour avoir le temps de remonter et nous permettre de papoter avec les copains arrivant ce soir. A 20 h nous arrivons au cayolar. Les occupants sont déjà attablés, à l’apéro.
Goujons de 12
Comme souvent dans notre groupe, l’organisation d’une journée spéléo s’effectue au petit déjeuner. Aujourd’hui Olivier et Sébastien poursuivront les élargissements au SO104. Jean-Louis et Alain iront rééquiper les ressauts actifs du Bois de Cerf découverts début janvier. Quant à nous trois nous avons décidé de bucheronner, les tempêtes de l’hiver ayant fait tomber plusieurs grands hêtres en travers du chemin d’accès à notre zone d’exploration. Après cette activité forestière revigorante effectuée sous le soleil, nous descendons tranquillement en début d’après-midi au fond du Bois de Cerf espérant que l’équipement soit terminé. Il n’en est rien. Arrivé en haut des ressauts actifs une discussion s’engage avec les équipeurs situés au loin, trente mètres plus bas. Les cascades bruyantes qui nous séparent couvrent une partie de l’échange. Fabrice descend le premier ressaut en espérant amoindrir le brouillage sonore.
JL : « Pas terminé, besoin brrr glou glou… »
Fab : « Tu-peux-ré-pé-ter ? »
JL : « Glou glou grrr vrirthgamirtivouze… »
Fab : « Ils ont besoin des goujons de douze ! »
Moi : « Des goujons de douze ! Mais ils sont où ? »
Fab : « Cherche dans le bidon ou dans les minis-kits »
Je m’exécute, rebrousse chemin, ouvre le bidon étanche. Rien. Je remonte jusqu’à la petite salle où sont déposés les mini-kits. Je les vide. Rien.
Retour en haut des ressauts. Les dialogues de sourds se poursuivent.
Fab : « Com-prend-pas ! Ré-pè-te ! »
JL : « Des-cen-dez-le-bout-de-noui-lle ! » (traduction pour les non-initiés : petite corde)
Voici comment « bout-de-noui-lle » s’est transformé en « gou-jons-de-dou-ze ». Cette farce dont je suis le dindon nous servira de boutade récurrente jusqu’à la fin du séjour.
Finalement l’équipement se termine avec ce « bout de nouille » et de la cordelette statique de 6 mm (même pas peur) passée en double et faisant office de main courante d’accès au dernier puits. Le fond de la cavité que j’avais vu rapidement la dernière fois s’avère, une fois scrutée attentivement, très étroit sur au moins six ou sept mètres. Actif de surcroit et sans écho proche. Je convaincs mes coéquipiers d’abandonner la désobstruction de cette branche au profit de sa voisine fossile, beaucoup plus agréable, plus large, propre et sèche. Fabrice et David iront y déposer le matériel pour les jours suivants et en profiteront pour agrandir une étroiture résiduelle située avant la salle terminale.
Au cayolar nos amis de Leize-Mendi s’arrêtent en coup de vent nous saluer. Fin de leur journée dominicale passée dans le gouffre Charlotte où ils poursuivent une escalade à la suite d’une de nos explos délaissée dans les années 90.
Cartes Lidar et prospection
Nouvelle mode spéléo, les cartes Lidar effacent la végétation mieux que les incendies de forêt ou les bombes au napalm. Elles doivent permettre de découvrir les dernières entrées de gouffres oubliées par des décennies de prospection. J’avais précédemment récupéré ces dalles Lidar sur nos zones de recherches, intégré nos entrées et repéré des « points noirs Lidar », potentielles entrées de gouffre à découvrir. Cette journée de prospection n’a pourtant pas offert de nouvelles cavités intéressantes. Juste quelques puits-méandres bouchés par des éboulis et des remplissages et un petit gouffre qui n’était pas sur la carte Lidar et qui reste à explorer.
Un petit passage rapide dans le gouffre de l’Erable où David a pu remonter le matériel resté en dépôt au fond du puits d’entrée.
Désobstruction
Les deux jours suivants seront entièrement consacrés à la désobstruction en fond de cavité. Au Bois de Cerf nous progressons de sept à huit mètres dans un méandre fossile ventilé de plusieurs mètres de haut mais d’une trentaine de centimètres de large. Au loin un léger écho et un bruit de cascade ou d’écoulement. Allons-nous rejoindre l’actif délaissé au début du séjour ? C’est très probable.
Prospection au sommet
Après le lavage matinal du matériel dans les abreuvoirs d’Ahusquy où la vue est toujours aussi magnifique, nous partons crapahuter autour des pics Ihatia en haut du massif. En poche de quoi pointer et photographier les nouvelles entrées que nous espérons découvrir.
Dans la zone TH, nous trouvons une cavité intéressante, un puits d’une vingtaine de mètres en haut duquel traîne ce qui semble être une cordelette. Avec une longue branche nous réussissons à l’attraper. Il s’agit en fait d’un fil électrique qui est attaché plus bas. Des spéléos nous ont précédés. David fait remarquer que la mousse s’est développée sur les bords du gouffre, preuve que la visite de la cavité date de plusieurs années. Après vérification sur mon appli de terrain, je m’aperçois qu’il s’agit du gouffre TH451 où Olivier et moi avions entamé des élargissements il y a dix ans ! Ni lui ni moi n’avions reconnu l’entrée.
La fin du séjour arrive trop vite. Nous reviendrons en mai toujours aussi motivés.